Un rayon de soleil transperça les rideaux et vint chatouiller les paupières closes d'Anna, endormie. Le soleil ? Belle erreur ! Un gigantesque chandelier aux bougies réelles venait d'illuminer toute la pièce, une vaste chambre richement décorée dans les tons crème.
Anna remua et voulut faire glisser d'un geste souple de la main le drap de satin qui la recouvrait. Mais il n'y avait pas de drap. Sous sa paume, elle sentit les plis irréguliers de sa robe du soir qu'elle portait la nuit dernière, ou celle auparavant...
Ce soir-là où l'italien avait joué sa Porsche, elle s'en souvenait. Comment s'était-elle endormie habillée, sans se démaquiller ? De quelques battements de cils, Anna ouvrit ses grands yeux sombres et accorda un regard circulaire à la chambre dans laquelle elle venait de se réveiller.
* Je connais cet endroit *
D'où ? Elle ne savait pas. Le chandelier, le lit à baldaquin ou peut-être tout simplement le sofa lui rappelaient quelque chose, des odeurs douceâtres, mais rien de bien distinct. Trop partisane des souvenirs et faits bien réels depuis des années, Anna ne savait plus se fier à son intuition ni faire preuve de spontanéité. Et si elle était parvenue jusqu'au lit d'un homme déjà connu ?
Parfaitement maîtresse de ses doutes, Anna se leva, sa longue robe du soir cascadant le long de sa jambe jusqu'à ses pieds déchaussés. Sur la descente de lit, à quelques centimètres de ses pieds manucurés, elle trouva une paire d'escarpins. Les siens. Ceux qu'elle avait acheté le mois dernier, chez Versace. Méfiante, Anna les enfila et parcourut la vaste chambre, le seul résonnement sourd de ses talons aiguilles étouffé par la moquette.
Il faisait froid, pourtant, il n'y avait pas de fenêtre. Une cheminée surmontée d'un manteau en marbre ornait la pièce, mais elle semblait plus tenir le rôle d'un bibelot que d'une source de chaleur. Frissonante, Anna frotta ses bras dénudés et arpenta la pièce, s'attardant sur les photos affichées au mur.
Il y en avait peu, encadrées, et en noir et blanc. Sur les premières photos, une petite fille souriait à cheval sur un tricycle. Rien de bien passionnant, si ce n'était qu'elle avait ce sourire faux, crispé, presque...maladif. Anna blêmit, mais ne se laissa pas démonter. Quelque chose dans ces photos la faisait frissonner outre le froid ambiant, et ce silence...cette absence, devrait-elle dire. Il n'y avait pas un bruit, pas une mouche, pas même les élans d'une ventilation quelconque qui aurait pu justifier le froid...
Rien.
Du bout de ses ongles parfaitement limés et peints de couleur nacre, Anna frôla les photographies qui recouvraient la tapisserie vieillie. Elle avait l'impression de s'éveiller dans une chambre connue, mais que tout lui était étranger. L'ambiance était différente, l'époque...aussi.
* L'époque ? Qu'est-ce que je raconte ? *
Anna se sermonna, elle délirait. Ce n'était pas la première fois qu'elle buvait un coup de trop et s'éveillait dans une chambre inconnue. Mais elle était rarement en robe de soirée, seule, et elle n'avait plus aussi bu depuis une dizaine d'années...
L'alcool rendait les gens trop bavards, trop insouciants, et Anna n'aurait pas accepter l'idée d'être à la merci de n'importe qui sous les effets de la boisson. Sa mère n'en était pas un exemple, mais là n'était pas la question, bien entendu.
Calmement et dans un silence religieux, ironie de parler de religion puisqu'elle s'éveillait dans une chambre inconnue un beau matin, Anna continua sa visite parsemée de frissons qu'elle associait irrémédiablement au froid. Plus elle avançait, plus les photos comptaient deux, trois personnes au sourire toujours aussi faux et insupportable. D'un ongle, sous le coup d'une pulsion, elle entreprit de gratter le verre du cadre pour effacer ces sourires qui l'agressaient...mais elle se ravisa rapidement. Elle n'était plus maîtresse de ses propres gestes, cela en devenait alarmant ! Prudente, elle s'éloigna des murs, à temps cependant pour ne pas voir la photo suivante qui décalquait le costume scintillant et le sourire aguicheur d'une danseuse de cabaret aux cheveux blonds.
Un détail retint son attention parmi toutes les richesses de la chambre : l'armoire. Comme un papillon attiré par une flamme, Anna ouvrit les battants du meuble blanc pour fouiller la garde-robe et peut-être, trouver un indice sur l'homme qui l'avait emmenée dans cette pièce.
Perdu, la garde-robe était essentiellement composée de robes longues, brillantes, de gants, d'étoles et d'escarpins assortis. De très bon goût, d'ailleurs.
* Mais...*
Le souffla coupé, Anna fronça les sourcils, réprimant un cri d'horreur. Toutes ces robes, elle les reconnaissait. Elle les avait portées, toutes, à des galas, des cocktails, des buffets...
Qui savait ? Qui pouvait bien en savoir assez sur elle pour s'approprier toute sa garde-robe ? Un psychopathe, un fanatique ? Anna prit quelques secondes pour se ressaisir et ne pas céder à la panique la plus totale. Elle avait affaire à un psychopathe, comme...lui. Et si c'était lui ?
* Il n'aurait pas fait ça, pas osé...*
Tout en essayant de se convaincre, Anna fit défiler devant ses yeux sombres sa ribambelle de robes aux couleurs plus châtoyantes les unes que les autres. Il n'y avait bien que lui pour le savoir, après tant d'années...
C'était son moment, sa vengeance, l'enlever ?
D'un geste brusque, Anna claqua le battant de l'armoire, en proie à la colère.
* Il n'aurait pas dû, surtout *
S'il voulait jouer, il jouerait, et elle ne partirait pas perdante. Ce n'était plus une adolescente paumée et amoureuse...
Sûre d'elle, Anna courut jusqu'à la porte et ôta de son chignon l'une de ses épingles à cheveux qu'elle glissa dans la serrure pour la crocheter. Mais le "clic" mourut sous la poignée avant même d'avoir pu émettre. La porte n'était même pas verrouillée...
C'était un jeu de piste ?
Posant un talon aiguille dans le couloir, Anna esquissa un sourire carnassier sur ses lèvres rosées.
" Très bien, on va jouer..."
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Jeu 31 Mai - 1:07