Où je suis moi!?

Léo errait dans le manoir depuis une demi-heure déjà. Après être sortis de sa chambre, elle avait longé un couloir, puis un autre et encore. Avant d'arriver dans une salle.
Une salle plutôt grande puisque le bruit de sa canne sur le sol résonnait. Un haut plafond peut être.
Sa main rencontra une chaise devant laquelle il y avait une table. Une salle à manger ? La table était ronde et entourée de chaises mais il n'y avait pas l'odeur qu'une salle à manger a habituellement.
C'était... étrange.

Par une ouverture dans le mur, Léopoldine passa dans une autre pièce. Presque identique à la première. Chaises, table, pas d'odeur.
Léo jura. Elle en avait assez de tourner en rond. Elle s'impatientait.
Quand il y eut du bruit ! Quelque part, dans une pièce peu éloignée.
Et si ses ravisseurs attendaient qu'elle se réveille pour la cueillir !
Il fallait qu'elle s'éloigne et vite !
Elle se précipita vers une ouverture dans un mur de la pièce et heurta un fauteuil. En reculant, elle se prit les pieds dans un tapis et s'affala sur le sol faisant tomber sa canne.

" C'est pas le moment ! "

Des bruits de pas approchaient dangereusement. Paniquée Léo tâtait le sol à la recherche de sa canne introuvable. Elle chuina et jura. Priant qu'elle la retrouve avant de tomber sur ceux qui l'avaient amené ici.

En sortant de sa chambre, Anna avait continué sa route, un sourire mauvais et confiant toujours accroché aux lèvres, jusqu'au bout du couloir. Dans la pénombre, elle avait emprunté un escalier qui la menait à l'étage supérieur. La résonnance de ses talons aiguilles sur le plancher lui assura que la bâtisse, appelons-là ainsi, se tenait sur plusieurs étages. A l'époque, il n'était pas si riche pour se payer une demeure aussi luxueuse. Et qui manquait cruellement de goût à voir les tableaux décharnés, il fallait le reconnaître.

Peu objective et certaine d'avoir affaire à un homme surgi de son passé de jeune fille, Anna monta les marches non sans appréhension mais avec une élégance hors norme, un pan de sa robe du soir fermement serré dans l'une de ses mains.
L'étage semblait désert, lui aussi, mais Anna sentait qu'elle aurait bien le temps nécessaire pour la découverte des lieux. Etrangement, elle ne cherchait pas la sortie, mais plutôt la vérité. Si jamais elle se retrouvait face à lui, que pourrait-il dire, ou faire ? Ses mains tremblaient encore à l'évocation de son souvenir, mais elle se tiendrait droite face à l'homme qu'elle avait tant aimé, il y avait de cela des années, des siècles semblait-il...

Sa robe de satin glissa sur le plancher derrière elle, et Anna continua sa viste à pas lents, d'une démarche de reine. Ce ne fut qu'au moment où elle entendit un bruit sourd dans la pièce contigüe à celle où elle était qu'elle sursauta pour la première fois. N'était-elle pas seule dans ce sinistre manoir ? S'il était réellement là, avec elle, à l'épier, aurait-il fait du bruit pour l'appâter ?
Curieuse mais pas pour le moins prudente, Anna passa dans la pièce d'à côté par une porte sans battant découpée dans un mur couvert d'une tapisserie toute aussi vieillie que les autres, et se retrouva dans une vaste salle à manger.
La première chose qui retint l'attention d'Anne dans cette pièce fut...l'absence. Même si elle était habituée à côtoyer de riches salons, cette salle à manger ne contenait qu'une table en bois mal verni, des chaises assorties et un vaste miroir accroché au mur. Il n'y avait pas de meuble où entreposer la vaisselle, encore moins de bibelots ou de fleurs fraîches. Tout semblait mort, dépassé de plusieurs siècles...

* Ma théorie de l'époque commence à prendre son sens, c'est rassurant...* ironisa Anna dans ses propres pensées.

Jusqu'ici, elle était encore prête à croire qu'elle rêvait lorsque soudain, de l'autre côté de l'immense table, elle vit quelque chose bouger. En s'approchant, elle distingua une longue canne abandonnée sur le sol et...quelqu'un ?!

La personne était allongée au sol, sur le ventre, mais Anna reconnut à ses gémissements une voix et une attitude féminine. Si elle ne se relevait pas, c'est qu'elle n'avait pas sa canne...
L'esprit totalement embrumé, Anna ramassa la canne au sol et aida la jeune fille à se redresser, lui présentant son objet de valeur à portée de main.

" Tout va bien ? " Commença-t-elle, avant de comprendre, peut-être, quelque chose. " Qui êtes-vous ? "

Elle posa la question plus précipitamment. Une aveugle étendue au sol dans un demeure vide ? Anna avait du mal à y croire. Méfiante, elle crut un instant qu'il s'agissait d'une ruse, mais à moins d'être une maîtresse en karaté, la jeune fille aveugle ne semblait pas très agressive. Un coup de talon bien placé , quelques pas de danse acrobatique, et Anna aurait raison d'elle si elle tentait quoique ce soit.

* A quoi je pense ? Voilà que je compte attaquer une invalide...*

Anna soupira bruyamment, luttant contre ses propres pensées trop fluctuantes. Elle attira une chaise jusqu'à elles et aida la jeune fille à s'asseoir. A la suite de quoi, elle s'assit également en face d'elle, lui tenant toujours le poignet pour lui assurer sa présence.

Une femme ? Une femme... son agresseur ? C'était impossible.
Léo se dégagea et se releva d'un bond. Elle ne pouvait pas rester assise dans un moment pareil. Elle ne pouvait pas !
Tout un tas de questions se bousculaient. Elles bourdonnaient à ses oreilles comme un nuage de guêpes en furie.
Pourquoi ? Hein pourquoi ? Qui était cette femme ? Pourquoi était-elle là ? Pourquoi l'avoir aidé ? Etait-elle impliquée dans l'enlèvement de Léo ? Et bon Dieu pourquoi sentait-elle si fort le parfum de luxe, la cigarette froide et l'alcool ?

Mais De toutes ces questions une seule, la plus importante de toutes, sortait du brouillard.

" Et vous ? Vous êtes qui ? "

Lança t'elle dans un souffle.

Que... quoi ? Pardon ? Nan mais je ne vous permets pas... mais voyons...
Comment osait-elle sortir de telles choses ?
Elles se connaissaient à peine, se trouvaient dans une situation des plus improbables... et voilà l'autre là qui sort : "Vos manières font peine à voir, jeune fille"
Vos manières gna gna gna... et je me crois au-dessus de tout le monde blablabla. Même si cette femme n'avait apparemment rien à voir avec l'enlèvement de Léo, ce n'était pas la peine de prendre de grands airs.
Cette femme puait la "haute" comme on dit. Son parfum, ses cigarettes dont la fumée au passage irritait les yeux de Léopoldine. Le froissement de ses vêtements lorsqu'elle croisait et décroisait les jambes prouvait qu'elle ne faisait pas son shopping chez les grandes chaînes.
Léo venait de la rencontrée et la détestait déjà.

N’empêche que la bonne femme avait dit un drôle de truc qui avait fait entrer en ébullition les neurones de l’adolescente. Un truc qui prouvait qu’elle n’était vraiment pas trempée dans une affaire louche, genre un trafic d’ados atteint de cécité pour les vendre à des gros bonnets de la drogue afin qu’ils leur servent de dealer (ben ouais, la police vas pas aller soupçonner un aveugle, c’est trop faible un aveugle.).
Non, non, non, l’autre était aussi paniqué que Léo. Ca s’entendait à sa respiration courte et sifflante. Cette bourge sur d’elle-même devait sûrement se rassurer en s’racontant des bobards mais Léopoldine sentait bien qu’en face d’elle y avait une femme aussi flippé qu’elle l’était.
Pas la peine de se raccrocher à tes illusions ma vieille. Si t’es pas dans l’coup, t’es aussi foutu que moi.

L’odeur piquante de la transpiration bourgeoise titillait les narines de Léopoldine. C’était un des signes du stress.
Léo repris un peu d’assurance en sachant que son interlocutrice n’était pas rassurée derrière sa cigarette qu’elle venait d’allumer. Même si une dose de nicotine n’allait pas beaucoup l’aider.
Les aveugles peuvent sentir certaine chose que les voyants ne perçoivent pas. Ce qui leur donne parfois un grand avantage. Et aujourd’hui, là maintenant, c’était l’occasion parfaite pour mon héroïne (Léo) de tirer profit de son handicap.
La bonne femme voulait lui tirer les vers du nez et ne pas lâcher d’informations puisqu’en réalité elle était totalement paumée…soit. Elle voulait jouer les mystérieuses ? soit !
Dans ce cas là, Léo allait entrer dans son jeu. Ah bas voui ! Là, Léo est colère. Et quand elle est colère, elle tient à irriter la cause de cette colère…

Les lèvres serrées, aucun mots ne franchiraient cette barrière buccale tant que l’autre ne serait pas descendu de ses grands chevaux.

[Un duel de caractère entre deux femmes, excellemment joué ! Léo, j'adore tout spécialement ta façon de jouer, de décrire ton personnage et ses sensations. Je n'ai pas encore de points de caractéristiques à vous ajouter (j'attends le dénouement), mais pour ce délicieux passage, je vous ajoute volontier un point de roleplay chacune ! Au fait, Anna, attention à ton briquet, Monsieur Z pourrait bien s'en servir... ]

Et voilà la bourgeoise qui partait au grand galop ! Ses talons ultra aiguilles tapèrent sur le sol avec férocité. Ce que cela pouvait être désagréable comme son. A chaque “clac”, Léo frémissait d’agacement. Elle serrait les points de rage et s’efforçait de faire comme si de rien n’était à la dernière remarque de son interlocutrice.
Qu’elle s’en aille ! Léo se débrouillerais très bien toute seule. Garder sa dignité intacte était bien mieux que s’abaisser au petit jeu de « tu m’cherche, tu m’trouve » auquel la belle dame se faisait un plaisir de jouer. Elle garderait les lèvres clauses.

L’odeur de fumée de cigarette envahissait, maintenant, toute la pièce. C’était infect. Elle collait à la peau comme la sueur un jour d’été dans le métro parisien. Le tabac entrait sans permission dans les poumons de Léo, la forçant à restreindre son souffle.

« Insupportable… »

Sous la torture goudronneuse, ce mot franchit les barbelés de sa bouche. Il voulait s’échapper de cet enfer au risque de bafouer le sens « d’honneur » de sa propriétaire.
Il fallait rattraper cette bourde avant que la bourgeoise ne pense que c’est à sa petite personne qu’on s’en prend.

« …l’odeur de votre cigarette ! C’est insupportable ! Si vous pouviez l’éteindre s’il vous plaît ?! »
Dit-elle dans un soupir de capitulation.

Léo se sentait plus calme. La panique des premiers instants s’était dissipée. La brume qui planait sur son cerveau avait laissé place à un ciel aussi clair qu’un ciel de printemps.
Même si la vue lui manquait, elle pouvait désormais voir la situation.
Dans une inspiration profonde, elle vit ceci :
*Un endroit – grand – pas d’air renouvelé – seulement conditionné – donc – pas d’ouvertures.
Une bourgeoise – parfum de luxe – cigarette à tabac fort – transpiration – stress – On est perdu toutes les deux…*
Oui, sa rencontre était inoffensive à première vue…perception. Elle n’était pas directement armée et ne tenait que sa cigarette à la main, peut être aussi un sac à main ou une pochette comme toutes les bourges en ont. Elle possède un briquet aussi, qu’elle a utilisé pour allumer son immondice.

Après tout, une trêve dans la petite guerre qu’elles s’étaient lancées pouvait se faire. Léo voulait au moins connaître le nom de sa nouvelle « amie » aussi puante soit elle.

« J’accepte de vous dire qui je suis, si vous éteignez ce truc, revenez vous asseoir en face de moi et me dites à votre tour qui vous êtes. »

[je suis désolé que mes réponses prennent plus de temps. Je serais plus présente la semaine prochaine.]

Bien, très bien. Le petit du chat et de la souris s'était enfin arrêté entre Léo et la bourgeoise.
Toutes deux s'étaient calmées, la bonne femme avait coopéré.
Ô joie ! Ô soulagement ! Elle avait accepté d'éteindre son affreuse cigarette. Même si l'odeur désagréable du tabac brun flottait encore dans la pièce, au moins la fumée n'irritait plus le nez de l'adolescente.
C'était comme si les affreux nuages d'une grosse s'étaient dissipés.

Il fallait maintenant tenir sa promesse. Léo pris une grande inspiration avant de lâcher :

" Mon nom est Léopoldine Leclou."

Ces mots prononcés, la jeune fille se sentit comme nue. C'est que l'identité est pour toutes personnes vivant sur cette petite planète que nous appelons la terre quelque chose de précieux. C’est la seule chose qui nous appartienne réellement !
Retiré à quelqu'un son identité, il en sera perdu. Il se sentira vide de sens. Notre identité est notre existence.

Voilà pourquoi, Léo se sentait sans défense face à la bourgeoise. Et c'était au tour de cette dernière de révéler son identité. Elle aussi devait se mettre à nu.
A deux idiotes paumées, on se sent moins ridicules quand on est à poil chacune !