Perdue à l'intérieur de son âme

La dernière chose dont se souvenait Elène était le tic-tac affreux, tic-tactant sournoisement dans la cuisine, mettant les nerfs à vifs à chacune des personnes présentes. Puis Ellana avec coupé le fil et... Plus rien.

Pendant un fol instant, elle se prit à espérer que tout le monde était mort, déchiqueté par le souffle mortel de l'explosion. Mais non. Son mal de tête lancinant lui indiqua qu'elle vivait toujours. A moins que Dieu ne prenait un malin plaisir à torturer encore et toujours sa pauvre âme, même dans l'au-delà.

Elène s'aperçut soudain qu'elle avait les yeux fermés. Elle les rouvrit avec précaution, comme de peur de voir si quoi ils allaient se poser. Ce qu'elle aperçut fut un escalier, un simple escalier. Où était-elle? L'escalier semblait descendre, devant elle, dans les profondeurs de la terre alors que, ceux derrière elle, semblait plutôt rejoindre tout droit le ciel.

Le ciel... Quel temps faisait-il dehors? Elle regarda autour d'elle mais ne vit aucune fenêtre. Forcément, dans un escalier...
Etre dans l'incapacité de savoir le temps qu'il faisait dehors la mit au supplice, et elle ne parvint pas à stopper les larmes qui coulaient, sans pouvoir s'arrêter, sur ses joues.

Combien de temps resta-t-elle ainsi, les genoux sous le menton, sanglota convulsivement? Elle n'aurait su le dire. Tout dans cette maison lugubre était un affront au temps. Nulle part elle avait vu la moindre horloge, le moindre radio-réveil. Se concentra sur la seule chose qu'elle percevait encore, c'est-à-dire elle-même, elle se rendit compte qu'elle n'avait pas faim, ni sommeil. On était donc peut-être en milieu de matinée, ou d'après-midi. A moins d'être au beau milieu de la nuit, et d'avoir été réveillée par une de ses nombreuses insomnies.

Elle faillit encore une fois éclater en sanglots, mais elle se retint de justesse, se mordant la lèvre jusqu'au sang. Il fallait qu'elle se reprenne ! Il n'était pas question de se laisser aller ainsi. Non, vraiment pas.

Levant ses yeux rougis vers le haut des escaliers, elle décida de monter voir ce qu'il pouvait bien se trouver là-haut. Le haut l'attirait irrésistiblement depuis quelques temps. Peut-être qu'en montant atteindrait-elle le ciel après tour, et son salut.

Péniblement, comme si ses jambes étaient faîtes de plomb et non de chair et d'os, elle grimpa une marche après l'autre, haletant sous l'effort. Jamais monter un escalier ne lui avait parût si pénible. Mais, étrangement, devoir souffrir ainsi lui faisait du bien, cela calmait ses pensées désordonnées.

Finalement, après un moment qui lui sembla durer bien plus que l'éternité, elle arriva sur la palier. Soupirant de contentement, elle se fit violence pour ne pas choir à terre et reprendre son souffle. Non, plutôt, elle se dirigea vers l'une des deux portes qu'elle voyait. Tendre la main, tourner la poignée... Ces gestes si banales étaient devenus un vrai calvaire pour elle. Son corps tout entier semblait être fait de plomb, et le martèlement sur ses tempes ne rendait pas la chose plus facile.

Elle retint un cri lorsque la porte consentit enfin à s'ouvrir pour dévoiler ses mystères. La pièce était éclatante de propreté, cela en devenait presque totalement irréel tellement la pièce irradiait la lumière. Le carrelage blanc, les murs carrelés aussi de blanc, les tuyauteries en fer étincelant... Elène crût un instant qu'elle allait devenir aveugle à cause de cet accès de luminosité après la pénombre des couloirs.

Enfin, sa vision s'adapta, et elle se rendit compte qu'elle était dans une salle de bain. Ou plutôt non, dans une espèce de grandes pièces comportant plusieurs douches. La vue de cet objet basique l'emplit d'un besoin frénétique de se laver. Elle se précipita, comme possédée, vers la première douche et, toute habillée, fit jaillir le jet d'eau, tout en savourant longuement le liquide purificateur.

"Thank You God, Thank You so much..."

Recroquevillée sous la douche, elle aurait été bien incapable de discerner l'eau des larmes...

Encore une fois, Elène perdue toute notion de temps. Elle était plongée dans les souvenirs de sa vie d'avant, quand tout allait bien... encore. Pourtant, loin de la faire souffrit, ces souvenirs lui firent comprendre que tout, oui tout pouvait redevenir exactement comme avant. Du moins... Dès qu'elle se serait enfuie de cet endroit maudit.

Obéissant à une intuition surgie de nulle part, elle ouvrit les yeux et... son premier réflexe fut de se mettre à crier. Un cri déchirant, à vous percer les oreilles. Un cri exprimant toute la peur et toute l'hystérie qui l'avait envahis. Néanmoins, ce cri ne dura qu'un infime poignée de secondes et, à l'instant où Elène s'arrêta, il n'était plus que l'ombre de lui-même, comme tout droit sorti d'un de ces pires cauchemars.

Se mettant debout et se reculant quelque peu, elle essaya de réfréner la panique qui la gagnait et, afin de faire honneur aux souvenirs qui étaient venus la réconforter, essaya d'analyser cet étrange phénomène rationnellement. Ou du moins... Le plus rationnellement possible.

Quelles pouvaient bien êtres les raisons inhérentes à cette soudaine apparition de sang... Tout son être lui criait de partir en courant, mais elle ne voulait pas céder. Il devait avoir une raison. Il y en avait une, c'était certain !

S'asseyant sur le sol, à quelques centimètres de l'eau qui continuait à couler, d'un rouge pareil à celui du sang, elle se força à respirer calmement, tout en réfléchissant à toutes les alternatives. Après de longues minutes, la seule qui lui vient à l'esprit lui fit froid dans le dos.

"Non, non reprends-toi. Cela ne peut pas être une hallucination. Non, je refuse que cela en soit une. Je refuse !"
Pourtant, que cela pouvait-il être d'autre? Un corps ensanglanté dans l'arrivés d'eau? Un fou cherchant à s'amuser en mettant ses nerfs à vifs? Tout cela lui paraissait si absurde !

"Bien, bien, reprit-elle, en respirant profondément après chaque mot. Il n'y a qu'une seule manière de vérifier si cela est réel... ou non."

Elle se releva, quelque peu chancelante, et s'approcha du jet d'eau.
*Une seule gorgée, une seule* se répétait-elle, comme si cela pouvait faire partir la peur qui continuait à s'accrocher à chaque parcelle de son corps.

Mettant ses mains en coupe sous l'eau, elle approcha ses lèvres, tout en gardant les yeux bien fermés. Cela aurait-il le goût du sang? Bientôt, elle allait le savoir...

A peine les lèvres d'Elène touchèrent le liquide rouge que la jeune femme se recula, recrachant le liquide rouge qui lui brûlait la gorge. Un petit cri de surprise s'était échappé de ses lèvres. Du... piment? Non, tout ceci commençait vraiment à devenir du délire.

Elle regarda, comme hypnotisée, le liquide rouge qui continuait de couler, sans s'arrêter. Comment du piment pouvait sortir par la paume de douche... Comment?!

Au moins, cette déroutante découverte l'avait rassérénée sur un point : si elle arrivait à sentir le goût du piment sur sa langue, elle ne devait pas avoir une hallucination. Car, si elle en avait vraiment une, sans nul doute que son cerveau dérangé lui aurait fait boire du sang.

*Mais du piment? Qu'elle est cette folie?!*

Elle se décida enfin à fermer le robinet, pour arrêter l'écoulement de ce liquide perturbant. Prenant enfin conscience qu'elle en était couverte des cheveux aux pieds, elle décida d'enlever ses affaires et de rester en sous-vêtements. Elle n'aimait pas se voir ainsi, trop maigre, trop pâlichonne, mais mieux valait se dégoûter qu'empester le piment.

Regardant avec suspicion ses habits, comme si le liquide rougeâtre allait disparaître d'une minute à l'autre, comme pour lui signifier qu'elle était vraiment dérangée, elle prit son courage à deux mains et décida d'aller ouvrir une autre douche. Elle verrait bien si là aussi elle aurait le droit à une douche de piment ou simplement d'eau clair et chaude.

S'approchant d'un autre robinet avec hésitation, elle finit par rire de sa trop grand prudence :
"Mais alors, ma vieille, voilà maintenant que tu as peur d'une simple douche ! On dirait que ça ne va guère de mieux en mieux. Allez, ouvre donc moi ça, et prends une douche, tu commences à empester le piment !"
Se parler à elle-même, tout haut, lui avait redonné du courage.

Elle enleva le reste des habits qui la couvraient et se mis sous la douche, tout en actionnant le robinet. Elle n'avait pas pensé à chercher du savon, ou quelque chose dans le genre, mais l'eau devrait suffire à enlever la pellicule rougeâtre qui recouvrait son visage et ses cheveux.


Le liquide jaillit de la pomme de douche...